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7 octobre 2010 4 07 /10 /octobre /2010 13:45

Cher(e)s collègues, si vous ne comprenez rien à ce qui vous arrive depuis 10 ans, allez au CDI, vous trouverez sûrement Le Monde Diplomatique d'Octobre 2010, et lisez l'excellent dossier au titre évocateur : "Feu sur les enseignants".

      Longtemps on a parlé d'une vocation de l'enseignant. Ce devait désigner cette sorte d'élan à répéter pendant 40 ans ce que l'on sait déjà soi-même à un auditoire plus ou moins convaincu de votre légitimité, afin de passer le relais aux générations futures dans l'idéal d'un possible progrès de la condition humaine. Il a existé une époque où devenir instituteur était partie intégrante de la mythologie de la classe ouvrière, une image positive et digne de la réussite sociale, parce qu'elle signifiait ascension par le savoir.

      Depuis, bien sûr, Bourdieu et ses Héritiers nous avaient quelque peu déniaisés. Mais cela n'apparaissait pas sans issue. Si l'école avait tendance à exiger des élèves des compétences et des savoirs dont elle devait plutôt assurer l'enseignement pour égaliser les conditions des élèves issus de milieux favorisés et de milieux défavorisés, cela voulait dire qu'elle avait une mission éducative et culturelle (faire lire, donner un accès facilité à la lecture, aux livres et plus généralement à la culture. A ce propos, des mesures démocratiques comme Collégiens / Lycéens / Apprentis au Cinéma vont dans ce sens, pour ne donner qu'un exemple.)

      Si un quelconque pédagogue qui fait aujourd'hui autorité dans les milieux très sélect des "experts" et autres "techniciens" des SCIENCES de l'Education, lit ces lignes - ce qui m'étonnerait beaucoup, je ne vois pas comment il arriverait jusqu'ici - il doit être parfaitement exaspéré au contact d'un tel verbiage, désuet, démodé, has been, non "innovant".

      Monsieur, lui dirai-je, si vous avez le label du vocabulaire qui change au gré des modes (IUFM, Rased, RAR, PPCP, AI, AP etc...)  les idées sont à tout le monde, et j'insiste à ne pas parler votre langue, car je n'appartiens pas à votre secte. On sait combien les mots sont des marqueurs sociaux.

      J'ai assez oeuvré dans les marécages philosophiques pour savoir que l'éducation est la plus périlleuse mission que l'humanité se soit adjointe, mais qu'il n'en est aucune qui soit à ce point essentielle.

      Or, éduquer, c'est aussi, vous ne l'ignorez pas, dresser, manipuler, influencer. C'est pourquoi l'éducation, qui n'est qu'un moyen, dépend de la finalité qu'on lui donne.

      On lui donna successivement les finalités suivantes : d'abord, faire de l'élève un individu éclairé, c'est-à-dire parce que connaissant les chaines qui le lient à sa condition humaine, être capable de ne plus les subir : penser par soi-même, être indépendant, libre. C'était l'idéal des Lumières qui défendaient une éducation publique, gratuite et laïque.

      Puis, au début du XXème siècle, parce que le monde avait évolué, on donna à cette idée une teinte plus sociale (c'était l'air du temps) qui pourrait se résumer à cette idée : donner à l'individu, par l'intermédiaire de l'accès au savoir , les conditions de son ascension sociale. Si ce n'était pas tout à fait la liberté des philosophes, au moins était-ce un sacré moyen de libération de l'aliénation dans laquelle était plongée la classe ouvrière.

      Mais depuis qu'il n'y a plus de modèle alternatif à l'ULTRA-CAPITAL, il n'est plus question de se libérer. L'unique et absolu mot d'ordre depuis les années 80 est celui-ci : INTEGRER ou EXCLURE.

     De nos jours, le sens de la vie s'est terriblement réduit à avoir un travail, gagner de quoi vivre, être inséré socialement. Sinon, tu es exclu, mais en plus, on va te chercher des noises et te demander pourquoi.

     Alors, les apôtres de l'ULTRA se sont retournés vers l'école qui coûte si cher au contribuable et qui apprend des "choses qui servent à rien, qui donne pas un travail..." On a sommé l'école d'être efficace et d'adapter ses pratiques au monde du travail. Et le monde du travail, vous vous en êtes aperçu, il bouge très vite, surtout depuis qu'il est connecté à la bulle boursicotteuse.

     Donc, pour être efficace et s'adapter, l'école a  spécialisé (de plus en plus tôt et dans les deux sens, général, technologique, professionnel mais aussi SEGPA pour les exclus dès le départ de la libération par le savoir), ZEP (comme s'il y avait des zones sur le territoire national qui étaient plus prioritaires que d'autres) etc... A l'autre bout de la chaine (eh oui), peu de travailleurs qualifiés qui gagnent simplement leur vie et une course à une main d'oeuvre non qualifiée payée rien et corvéable à merci pour que l'Europe soit compétitive sur les marchés...

     A cette fin, l'école doit produire des individus aux faibles savoirs et savoir-faire qui supporteront sans se rebeller collectivement une régression dans leurs droits et leurs conditions de vie. Et voici comment cette nouvelle finalité a anéanti la finalité originelle.

     Ainsi, l'enseignant "innovant" doit-il être avant tout un bon technicien et s'adapter aux rafales de textes officiels qui "réforment" tout azimut... quoi ? on se le demande. Un enseignant n'a plus à avoir d'exigence en matière disciplinaire, il doit évaluer des compétences, hein, des savoir-faire. Autrement dit, "on s'en fout qu'ils connaissent les dates de la Seconde Guerre Mondiale pourvu qu'ils sachent en faire la recherche sur Wikipedia". Un enseignant ne note plus le degré de connaissance d'un savoir (l'Histoire par exemple) mais il note "la capacité à faire la recherche sur Wiki".

     Les feu IUFM ont été, au passage, ces dernières années de bons soldats de cette pédagogabgie, mais à trop collaborer et à ne pas s'en apercevoir, ils ont été mal récompensés et se sont vus biffés.

     Enseigner, ma pauv' Lucette, c'est sûr, c'est plus ce que c'était. ETRE ENSEIGNANT AUJOURD'HUI = BOITE VOCALE POUR SIGNALER LE CHEMIN VERS LE CONSEILLER D'ORIENTATION.

     Vous savez ce que répondait un formateur de l'IUFM de Prout aux stagiaires PLP (enseignants en lycée pro) qui déploraient les lacunes énormes en connaissances de base de leurs élèves âgés de 14 à 21 ans ? Mais, que la société avait besoin de balayeurs, d'éboueurs... je rajouterai et de ses chômeurs et précaires pour faire tourner l'entreprise socialo-humanitaire...

    En 3ème, les enseignants doivent faire passer l'ASSR, attestation de sécurité routière. Ca prend plein d'heures, c'est un peu comme un mini-code. Ben oui, mais c'est utile, parce que le futur chômeur, faut qu'il soit mobile pour aller chez Paulan Ploie. Pas de salut sans mobilité, autant t'prévenir dès le plus jeune âge! Je sais pas vous, cher(e)s collègues, mais moi j'ai pas eu de formation auto-école lors de ma belle année d'IUFM. Ce n'était qu'un exemple, et c'est pas le plus crétin, parce que sinon on leur apprend aussi beaucoup à être des éco-consommateurs, ah oui !

     Et puis, c'est fini la sélection des profs sur concours disciplinaire. C'est les chefs d'établissements qui vont choisir leur prof "sur profil". Aussi, en histoire-géo, si tu postules en ZEP, c'est mieux si tu es dans une association de kung-fu que si tu pratiques le piano...

     Cher(e)s collègues, regardez bien vos derniers collègues partir à la retraite cette année, ce sont les derniers specimens d'une civilisation disparue.

     Pour arriver jusqu'à la retraite, si on veut pas se faire virer ou dépasser par de jeunes loups, va falloir laisser ses idéaux de libération par le savoir au vestiaire et prendre le masque rieur du "désir d'entreprendre". Vous n'étiez pas préparés ? Ah bon ? Mais le monde tourne, vous savez, il tourne !

     Pourtant, le savoir, c'est ce qui nourrit l'esprit. Interdire à un individu son accès, c'est le condamner à n'être qu'un maillon indifférencié de la grande chaîne. C'est, dès l'entrée, lui interdire le chemin de son émancipation. Et pour paraphraser l'excellent titre de l'excellent livre de Wilfried N'Sondé, quand les esprits se sont tus, on n'entend plus que le bruit des machines.

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