Cet article m'a été inspiré par le petit livre paru aux Editions Points (3E ça ne vaut pas le coup de se priver de clairvoyance), en août 2009, au juste titre « Vous frappez à tort et à travers », qui rassemble en son sein les textes du discours de François Mitterrand et de Michel Rocard (sic), alors députés, contre le projet de loi « anti-casseurs » devant l'Assemblée nationale, le 29 avril 1970, à la suite d'actions violentes perpétrées par des groupes maoïstes, et l'Allocution du Président de la République au commissariat de Gagny, le 18 mars 2009.
Cet article s'inscrit dans le débat fermé par le décret de la création de deux nouvelles bases de données par le Ministère de l'Intérieur, paru au JO de dimanche 18 octobre 2009, suite aux « événements de Poitiers » du samedi 10 octobre 2009. Un premier projet de fichier de renseignements EDWIGE avait avorté suite aux polémiques qu'il avait soulevées.
L'allocution de Nicolas Sarkozy est la profession de foi de sa politique ultra-sécuritaire. Il ouvre son discours sur le rappel d'un fait d'une actualité brûlante, (soit 8 jours après) : « Le 10 mars à Gagny, une vingtaine d'individus encagoulés, porteurs de bâtons et de barres de fer ont fait intrusion dans le lycée J-B Clément de Gagny. Au cours de cette agression, ils ont saccagé les lieux et blessé 4 personnes, dont une assistante d'éducation et 3 lycéens. »
Là aussi, entre l'actualité et la réponse policière, il ne se sera écoulé que 8 jours. La culture du résultat, certainement ou la légalisation de la justice expéditive plus probablement.
Je prétends lire dans ce discours les principes de l'édification d'un Etat de plus en plus policier, c'est-à-dire où les lois sont de plus en plus faites dans le seul intérêt de la facilitation du travail des forces de l'ordre au mépris du respect de certains droits fondamentaux de l'Homme et du Citoyen, ce qui tend à montrer que notre Président est en train de travailler à des lois d'exception que je ne juge ni nécessaires ni utiles mais dangereuses.
« L'insécurité est la première des inégalités, la pire des injustices : elle frappe de plein fouet les plus fragiles, les plus précaires » […] Remarquons au passage que cela ne vaut que pour les citoyens Français, car pour les Afghans, pas du tout.
1 - CES NOUVELLES LOIS SONT INUTILES car "tout va bien Monsieur le Président" :
« Vous le savez, un travail considérable a été accompli depuis 7 ans (M.le Président de la République conçoit cette fonction comme continuité de sa précédente, à savoir Ministre de l'Intérieur … déjà 7 ans de sarkozysme, c'est beaucoup ) pour améliorer la sécurité de nos concitoyens. Nous avons, par exemple, créé les GIR (Groupe d'Intervention Régional): 33 aujourd'hui […], nous avons redéployé les forces de police et de la gendarmerie concernant plus de 400 communes. Nous avons mis en place la vidéosurveillance. Nous avons développé le fichier national des empreintes génétiques qui permet de résoudre chaque année près de 10 000 affaires. Nous avons réformé en profondeur le Renseignement avec la création de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur.) Nous avons rapproché la police et la gendarmerie sous le commandement unique du ministre de l'Intérieur […] Début 2009, 10000 récidivistes, dont 164 mineurs, ont été condamnés à une peine supérieure ou égale à la peine plancher [Août 2007, loi sur la récidive, instauration des peines planchers] […] En matière de taux d'élucidation, des progrès fantastiques ont été accomplis. Il faut le dire à tous les Français, en 2002 on trouvait 1 coupable sur 4, 25% de taux d élucidation. Aujourd'hui c'est presqu'1 sur 3. Cela m'interpelle, bien sûr de laisser 60% des crimes et délits non élucidés, mais vous vous rendez compte, en 7 ans on est passé de 25% à 37 %. Jamais un tel niveau n'a été atteint." Vous vous gonflez vous-mêmes de votre arsenal, à chaque nouvelle fois plus répressif, plus sophistiqué ! N'avez-vous donc, alors qu'il n'y en a jamais eu autant, assez de moyens ? Assurer la sécurité de vos concitoyens est une de vos prérogatives, vous en avez fait votre priorité, je dirais votre mission, votre vocation ! La France est-elle à feu et à sang ? Est-on à ce point terrorisé ? "L'avenir de nos libertés et de nos principes républicains se joue en grande partie dans notre capacité à relever le défi des violences urbaines."
2 - CES NOUVELLES LOIS NE SONT PAS NECESSAIRES.
"Pourtant il y a deux phénomènes qui me préoccupent particulièrement : l'essor des bandes violentes et les actes de violences commis contre les dépositaires de l'autorité." Ce sont deux choses différentes. Vous mettez côte à côte deux actes que vous tentez d'égaliser comme étant de même nature, alors qu'il s'agit justement de les distinguer, et par leur nature, et par ceux contre qui ces violences s'exercent. Quant aux actes de violences commis contre les dépositaires de l'autorité, rien ne préjuge qu'ils soient toujours collectifs d'une part et d'autre part, n'y a-t-il donc pas même une toute petite différence entre un élève de lycée et un membre des forces de l'ordre, détenant lui-même une force certaine, inhérente à sa fonction. Un membre des forces de l'ordre détient la légitimité et la force, la légitimité de l'usage de la force, ça fait déjà beaucoup pour un seul homme, vous ne trouvez pas ?
"Tirer sur un représentant des forces de l'ordre, c'est un acte criminel de la plus grande gravité " […] Gravité beaucoup plus grande que de tirer sur un anonyme citoyen ? Mais, Monsieur le Président, je vous le demande, est-on à Rio ? "Je le demande à Madame le Ministre de l'Intérieur car j'ai la conviction que nous sommes aujourd'hui face à un enjeu vital pour la cohésion de notre pays". Pourquoi, tout à coup, votre discours n'est-il plus émaillé de chiffres qui nous ont tantôt assommés ? Je veux leur dire que le premier devoir de l'Etat est de les protéger pour leur permettre d'accomplir leur mission." Le premier devoir de l'Etat ? Rien d'autre ?
3 - CES NOUVELLES LOIS SONT DANGEREUSES.
"Je ne souhaite mettre en cause personne (non, non) mais je constate l'existence d'un problème dans la chaîne des interpellations et des sanctions. Je suis bien conscient de la difficulté à interpeller, à réunir des preuves, à juger. Je sais à quel point le travail des policiers et des magistrats est complexe." Mais, enfin, avec tout ce que VOUS leur avez donné, le travail des policiers est encore trop difficile? Mais je ne sais pas moi, réformez les concours d'entrée, l'Education Nationale n'a donc pas le monopole des fonctionnaires imbéciles ! Quant au travail des magistrats indépendants, sûr que VOUS l'avez rendu de plus en plus complexe ! Et vous savez pourquoi ? Parce que vous substituez au droit public vos fantasmes de tolérance 0, de peine plancher et de culture du résultat.
"Cependant, je ne peux pas m'empêcher de penser que l'on doit pouvoir améliorer la qualité des procédures et de la collecte des preuves. […] Je l'ai dit, des réformes ont été entreprises, des progrès réalisés. Mais il est clair que nous devons aller au-delà. Nous avons une obligation de résultats à l'égard des Français. Tout doit être tenté, tout doit être accompli pour le maintien de la sécurité de nos compatriotes. […] Tout d'abord, il est indispensable d'accélérer la modernisation de nos outils policiers de lutte contre la délinquance commise en bandes". Oui, parce que Août 2007, c'est déjà vieux, il faut moderniser ! Et la "délinquance commise en bande", c'est ce qui ruine chaque jour un peu plus le moral des Français ! Renvoyez tous les délinquants en Afghanistan (c'est vrai pour ceux qui aiment l'insécurité, y a des vols low-cost en ce moment) et la France ira mieux !
"Ce que je dis pour les phénomènes de bandes vaut du reste aussi, chacun le sait, pour la délinquance ordinaire". Et oui, c'est nouveau, c'est moderne, il y a "la délinquance ordinaire et la délinquance extraordinaire", car jamais, depuis la nuit des temps, l'humanité n'avait connu de bandes venant caillasser un ex-copain ou un plus faible. Jamais. D'un voleur de DVD, vous allez faire un terroriste. On se croirait chez G.W.BUSH, les attentats en moins.
"Il existe d'ores et déjà 8 UTeQ dont trois en Seine-Saint-Denis qui ont permis d'obtenir des résultats spectaculaires. A Clichy-Montfermeil, la délinquance de proximité a chuté de 19% et à Saint Denis de 30%." Il n'y a bien que ça que vous aurez légué aux jeunes des banlieues.
Monsieur le Président, vous commencez à vous prendre les pieds dans votre tapis rouge, vous l'avocat, qui vous êtes trouvé "mal inspiré" de traîter les prévenus de Clearstream de "coupables". Pas sûr que votre fils et ses deux années de droit ait pu faire cette "énorme boulette". Votre rhétorique est une aberration, votre tentation de l'hyperqualification des faits et l'inflation constante des peines encourrues vire au déni de justice, ce qui doit rendre effectivement la tâche désespérante aux magistrats élevés au lait de l'indépendance de la justice. Vous avez réduit le droit à un slogan, et "il faut se garder d'abaisser le droit au niveau d'un slogan dont on attend un effet un peu démagogique, fût-il de courte durée", disait F. Mitterrand à l'adresse du Garde des Sceaux de l'époque. "Nul n'est censé ignorer la loi" rappelle-t-on souvent au citoyen pris en flagrant délit, mais nous n'avons pas tous fait de hautes études juridiques. Vous si.
"Les délinquants qui composent ces bandes ont en effet compris depuis longtemps qu'en l'état de nos lois, ils ne peuvent être condamnés si on ne peut mettre à leur charge la commission d'un fait précis. Oui, Monsieur le Président, c'est la base du droit, comme le rappelait en ces mots en un autre temps F.Mitterrand "quiconque n'a commis aucune violence [...] ne commet de délit au regard du Code Pénal". "Ce qui manque à notre arsenal, c'est de pouvoir poursuivre et condamner les personnes qui constituent une bande dans le but de commettre des atteintes aux personnes ou aux biens. Il faut doter notre code pénal d'une disposition qui réprimera de 3 ans d'emprisonnement le fait de faire partie, en connaissance de cause, d'un groupement, même formé de façon temporaire, poursuivant le but de commettre des atteintes volontaires contre les personnes ou contre certains biens. [...] " Vous venez d'inventer le "CRIME D'INTENTION". Si vous pouviez lire dans les consciences, vous criminaliseriez tout un peuple, qui secrétement, rêve d'assassiner son voisin ! Vous détruisez en une phrase la distinction fondamentale entre l'intention et le passage à l'acte.
A votre manière, M.le Président, vous êtes un révisionniste.