Je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager cet excellent texte :
Vendredi 7 janvier 2011, « Le Fou du Roi » France-Inter
Monsieur le Président de la République, permettez-moi de vous
vouvoyer, simple principe de précaution.
Je suis en effet un type
1) pas très riche,
2) pas très intelligent,
3) que vous pourriez aisément croiser au Salon de l’agriculture,
et 4) pas tout à fait certain de mon attitude dans l’éventualité où vous me
tendriez la main. Je sais que ces quatre points justifient, de votre point
de vue, l’emploi du tu de proximité, voir plus si acidité, alors je préfère
prendre les devants, garder mes distances, car, comme on dit, j’ai un
grand respect pour votre fonction. Monsieur le Président, une sournoise
question d’un député socialiste au Ministre de l’Education Nationale, a
récemment remis sur le tapis votre façon de parler, vos écarts de
syntaxe, votre grammaire approximative, bref, votre jargon particulier
que j’appelle cet idiome de Sarkozy et que d’aucuns qualifient de
langage de poissonnière.
Outre que le CAP de poissonnier contient un enseignement non
négligeable de la langue française, et qu’il est donc fort peu probable
qu’on entende un jour une marchande de morues déclarer en rendant la
monnaie : « C’est moi que ça fait plaisir », ou bien marmonner toute
seule dans son coin en dépiautant un cabillaud : « Si y’en que ça les
démange d’augmenter les impôts », sachez, monsieur le Président, que,
personnellement, je suis très friand de vos cabrioles verbales, j’adore
quand vous oubliez les conseils de vos coaches, quand vous improvisez,
bredouillez, quand, monsieur Jourdain voulant faire peuple, vous maniez
l’apocope, l’épenthèse ou l’anacoluthe à vous en faire péter la
sousvernaculaire! Ce bon monsieur Chatel, reptile courtisan, a pris votre
défense, louant votre langage clair et vrai, votre art de vous faire
comprendre de tous les français, votre force expressive, votre conviction,
votre à-propos, votre répartie, votre puissance d’évocation, on croirait
entendre un fonctionnaire nord-coréen faire le panégyrique de Kim Ilsung,
Iljong ou Il-flottante, je ne sais. Le 17 mars 2009, vous déclarâtes
dans une usine d’Alstom de France-Comté, en parlant des élites : « Mais
franch'ment, par moments, on s'demande c'est à quoi ça leur a servi
toutes ces années pour avoir autant de mauvais sens ! » Quelle force
expressive, en effet, et quelle puissance d'évocation ! Il est vrai,
Monsieur le Président, que vous vous adressiez à des ouvriers qui
fabriquent des moteurs de TER, vous ironisiez sans doute, en votre for
intérieur, en paraphrasant votre ami Séguéla : à cinquante ans, si tu sais
juste bricoler un moteur de TER, t’as raté ta vie ! J’aime vos pataquès
élaborés, ce petit côté Neuilly sur Beuvron, à la fois simple et trafiqué,
vous êtes plus cheval de labour que pur-sang arabe, moins Princesse de
Clèves que prince de Clavier. Si Didier Porte était encore parmi nous, il
vous aurait appelé Sarkouille la fripouille, grâce à Dieu notre Directeur l’a
foutu dehors ! Je l’avoue, je suis très émoustillé, lorsque je vous sens
vous écorcher les neurones à vouloir vous approprier un subjonctif qu’on
a glissé dans votre discours à des fins de rectification d’image, je suis au
bord de l’orgasme quand je vous vois lire une citation de René Char
mise dans votre bouche uniquement pour tenter d’imposer l’idée que
René Char fait partie de votre vie, au même titre que Johnny ou Vincent
Bolloré. Rappelez-vous, nous sommes le 12 novembre 2009, lors de la
remise de la légion d’honneur à Dany Boon, vous vous adressez à lui en
lisant votre papier, je cite :
« Vous avez su faire la synthèse entre le bonjour des simples et le
commerce des rusés »,
vous relevez la tête et vous précisez à Dany :
« c’est pas d’moi, c’est René Char ».
Ah, quelle merveille, ce « c’est pas d’moi, c’est René Char »… c’est
tellement délicat de votre part : qui sait, certains eussent pu imaginer
que ces deux expressions, « bonheur des simples » et « commerce des
rusés » fussent de purs produits de votre imagination, mais non, « c’est
pas d’moi, c’est René Char, mon pote René, mon Chachar, vous
r’mettez pas ? Un cador en poèmes poétiques !” Bon, bien sûr, la
poissonnière susmentionnée aurait dit :
« Ce n’est pas de moi, c’est de René Char », car chez les vendeuses de
maquereaux, on élide les nageoires, pas les négations. Et puis,
malheureusement, René Char n’a jamais écrit cette phrase ! Dans un
texte intitulé Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud, il dit au poète :
« Tu as eu raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les
estaminets des pisse-lyres, pour le commerce des rusés et le bonjour
des simples. »
Aucun rapport, bien sûr, entre ce féroce coup de chapeau à Rimbaud
renonçant à une carrière poétique à 21 ans et Dany Boon, que ce
dernier me pardonne. Je crains que votre pisse-lyre de nègre, traficoteur
de citations, ne soit un habitué du boulevard des paresseux. Qu’importe !
Pour vous et vos écrivassiers, Boon ou Rimbaud, c’est baudet blanc et
blanc baudet ! Après tout Rimbaud aurait très bien pu écrire Une saison
en Enfer du Nord, Le bateau bourré ou Les illuminations du 14 juillet.
Bienvenue chez les ch’tis, Arthur ! Tiens, mais j’y pense, monsieur le
Président ! Arthur et Dany Boon, ça ne vous rappelle rien ? Le dîner de
cons.
Vincent Roca